Les Éditions de La Frémillerie

Les chemin des nèfles rousses
De Pierre Pouvesle
(Extrait)

 

Le départ du facteur pose problème dès le lendemain de la mobilisation. Alfred en plus de ses deux voyages journaliers à Saint-Fargeau, distribue le courrier dans le bourg en débordant sur la tournée du mobilisé et rapidement on trouve une femme, Joséphine Ajard, vivant seule avec deux enfants, depuis que son homme est parti dans la réserve. Elle est chargée de distribuer le courrier sur le reste du circuit des châteaux.

Septembre dispense encore à chacun quelques belles journées qui se rabougrissent un peu plus tous les jours. Déjà Maret rentre le soir à la nuit tombante. Tout au long de son trajet journalier c’est un malheur de voir les moissons tout juste rentrées et les champs restés en l’état, faute de main d’œuvre. Et tous les jours les mêmes questions reviennent :  

-       Alors, Maret, rien de nouveau j’espère ?

C’est la phrase au père Miton de la Paludrie, tous les matins.

-       Pas de nouvelles, bonnes nouvelles, dit Omer à sa femme. Ceux qui sont « partis » à tout jamais, c’est déjà bien trop et je plains bien sincèrement les familles.

-       On a vécu cet horrible drame, sans jamais revoir notre fils, dit Lucie de la Saulnat, mais les pauvres parents, les épouses qui ont un des leurs à la guerre, le reverront-ils un jour ?

Seul sur ses chemins, Maret pense sans cesse à Marcelin et à son frère de l’Assistance, Tranquillin. « Comme la vie a changé en quelques semaines. Il n’y a que tristesse et angoisse sur tous les visages. Plus de sourire. Chaque famille est touchée. Déjà sept morts sur le front. Et tout cela pour l’antagonisme de grandes familles qui se fichent pas mal de massacrer des vies humaines pour leur idéal. Le ciel dorénavant  n’aura plus ce bleu qu’il avait en temps de paix. Les oiseaux ne chantent plus, c’est la saison qui le veut, mais dans les maisons les gens mettent ce silence des campagnes sur le dos de la guerre. Même les hirondelles sont parties plus tôt que les autres années…ça veut bien dire quand même quelque chose »,  marmonne-t-il. 

Rentré de sa journée, il n’a même plus la curiosité de lire le journal. Avec Tranquillin, ce n’était pas la même chose, ils le commentaient. Et parfois cela engageait de grandes discussions, parce que nos amis n’étaient pas toujours forcément d’accord. Maret plus modéré était parfois dépassé par les idées progressistes de Tranquillin.

-       Vous seriez d’accord ensemble avec Marcelin. Quand tu parles, on dirait mon beau-frère, ronchonnait-il.

Il se rappelle le jour où il lui a donné son avis sur la Révolution de 1789.

-       Ils ont bien fait de couper des têtes, il en est resté encore bien trop de ceux qui ont toujours exploité le petit en ne lui laissant juste de quoi manger, pour qu’il ne lui vienne pas des idées de grandeur.

Maret l’a fait taire. Ce soir-là quelques têtes se sont tournées vers le discoureur. Il a néanmoins continué tout bas, juste pour que son ami l’entende.

- C’est vrai, mon ami Maret, à quoi a servi la Révolution, pour que cent vingt ans après il reste encore autant de nobles et de profiteurs du petit monde, hein ?

Quoi répondre à une telle vérité ? Maret serait bien entré dans des explications qui n’auraient pas convaincu son ami. Il est vrai que la Révolution a été balayée par deux Empires et deux royautés, la Seconde République puis maintenant la Troisième n’avaient rien changé, sinon de maintenir le fossé entre les classes de la société. Alors, à quoi bon ?

LF